jeudi 27 août 2015

Les gros laids de la baston hi-tech

FEAR!

Dans la première moitié des années 90, le versus fighting c'est The genre. Les ventes console de Street Fighter et Mortal Kombat en font un El Dorado des éditeurs, qui savent qu'ils trouveront un public très demandeur et déjà formé à un type somme toute assez complexe.
Bien vite, cependant, magazines et étals sont saturés de jeux de baston - et souvent pas de bien bons...

Concomitamment à cette nécessité de sortir un peu du lot commun, il se trouve que les consoles 16 bit arrivent en fin de vie. En 1994, la Megadrive a déjà 6 ans d'existence sur le marché - c'est beaucoup à l'époque; même la Super Famicom, de conception pourtant plus récente, voit déjà poindre le bout du tunnel. Atari et 3DO ont en effet ouvert la voie à une nouvelle génération de consoles, et même si elles ne connaissent pas un franc succès, les images des jeux circulent dans la presse spécialisée, que Sega et Sony arrosent eux aussi copieusement de previews pour leurs consoles 32bit respectives. Les regards se tournent vers ces brillantes avancées technologiques, et il est inutile d'essayer de les en détourner: le public rêve de digitalisation, de 3D polygonale, et de termes angliches comme "Full Motion Video" et "Motion Capture".

Eh bien, en gros, certains éditeurs vont répondre à cette demande en servant aux joueurs des Canada Dry de ces technologies, sur des systèmes bien installés, mais en pleine obsolescence. Et le Versus Fighting servira de caution à ces démonstrations techniques - ainsi naquirent les Gros Laids de la Baston Hi-Tech sur Megadrive!


Primal Rage (Time Warner, 1995)

Primal Rage est adapté d'un jeu d'arcade Atari qui avait fait pas mal de bruit en reprenant les éléments du succès de Mortal Kombat: système de combat semi-original, gore, et digitalisation. La technique graphique utilisée est d'ailleurs la même, mais sur un hardware plus performant: les créatures, comme le Goro du titre Midway, sont des figurines repositionnables qui ont été photographiées pour créer chaque étape (frame) d'animation. Un peu comme du Wallace et Gromit avec des bonhommes Musclor. Il n'y a donc pas de capture de mouvement, mais du travail d'animateur assez comparable à ce qu'on pouvait faire dans le cinéma de genre de l'époque. Le résultat visuel est relativement réussi... En arcade, du moins.

7 personnages, dont 2 palette swaps: la win.

Passé sur megadrive, l'adaptation se heurte à la tristement célèbre palette de couleurs de la console. Impossible d'avoir la finesse de dégradé qui, sur des hardware plus performants, donne vie aux créatures. Notez bien, on savait depuis l'adaptation de Mortal Kombat (ou... Pit Fighter) que ce type de rendu graphique était trop ambitieux pour la console, et l'inflation de la taille des cartouche (24Mb) n'y fait rien. Graphiquement, il en résulte une adaptation aux yeux évidemment beaucoup plus gros que le ventre et qui tourne au moche tant la technique est inadaptée aux capacités d'affichage de la console.
L'ennui, c'est que du coup, il ne lui reste pas grand'chose, à Primal Rage. Parce que ludiquement on ne peut pas dire qu'il casse des briques - il est même carrément pas bon: contrôles raides, réalisation contre-intuitive des coups spéciaux, et en plus il faut avoir un pad 6 boutons sous peine de jonglage avec le bouton start. Ah si: les bestioles et le cadre de l'action sont mollement rigolos. Une baston de streums géants vénérés par les humains, c'est sympa. Mais comme c'est tout, ça ne fait pas rire longtemps.

Du bleu sur bleu, on passe au rouge sur rouge avec ce décor volcanique. 

Ce n'est donc pas un très bon client pour une soirée bière, ce Primal Rage. Malgré un thème plaisant, il est d'une laideur pas drôle, et demande d'investir trop de temps dans la maîtrise de son moteur de combat pas génial pour y jouer vaguement sérieusement... Pour au final un amusement franchement pas follichon.



Rise of the Robots (Acclaim, 1994)

Techniquement, Rise of the Robots est intéressant. Non pas que le résultat soit réussi: il est franchement nase. C'est l'esbrouffe autour de sa réalisation, symptomatique des attentes de l'époque, qui mérite d'être relevée. Pubs et dossier de presse vantaient une réalisation sur station Silicon Graphics, de la 3D et de la Full Motion Video - tout ça sur une cartouche, oui monsieur, une cartouche Megadrive de 24Mb!

Sisisi, on voit vraiment ça à l'écran. Et ça bouge. C'est une cinématique. Un truc pour planter l'ambiance, voyez-vous...

En fait, pour schématiser, là où Mortal Kombat utilise des clichés d'acteur et Primal Rage des clichés de figurines, Rise of The Robots utilise des clichés d'objets (numériques, hein) en 3D. Les dits objets en 3D en deviennent donc de bêtes sprites en 2D. La différence est que les positionnements correspondant aux étapes d'animation ont également été faits numériquement, là où les deux précédents titres utilisent des sujets bien réels. Et sans une once de Motion Capture telle qu'on l'entend aujourd'hui pour animer les robots, bien évidemment...

Ata!
Comme pour les titres précités, le rendu des digitalisations avec la palette de la Megadrive est moche par manque de couleurs pour dégrader proprement - et ce, même avec un robot-tout-bleu face à un robot-tout-rouge.
On retrouve des techniques équivalentes de 2D-isation d'objets 3D dans les séquences intermédiaires, qui sont à peine croyables de laideur.

Il vous faut un pad 6 boutons, histoire de pouvoir déclencher les mêmes animations à des vitesses différentes.
Voilà ce qu'il y a à en dire, de Rise of The Robots sur Megadrive.
Pour le reste, je ne vais pas m'enquiquiner à taper des tartines pour vous dire combien le jeu est nul: il est scandaleusement nul. Le concept c'est vraiment: "pour vendre ce machin en tant que jeu, il faut que le joueur il bouge un truc à l'écran, et qu'il interagisse avec des bidules. Ayé? Bon, ça ira". Si vous voulez davantage de détails, le net vous les fournira généreusement, mais je pense qu'il suffit de dire qu'on touche au fond du tréfonds de la cuve sans que ça ait le mérite de faire rire, quel que soit le degré auquel on l'aborde.
Quant aux robots... C'est à la base un sujet merdique, traité de façon peu inspirée, et avec un rendu à chier: il ne faut donc pas non plus espérer trouver là son divertissement.
Beurgl, en somme.



Shaq Fu (Electronic Arts, 1994)

Shaq Fu, voilà un jeu qui fait causer. Demi-nanar embarrassant à sa sortie, lynché ensuite par les critiques rétro à un point tel que c'en est devenu déraisonnable et a fini par alimenter un courant de réhabilitation, Shaq Fu c'est en tout cas un produit de son époque dans ce qu'elle pouvait avoir de plus ringard. Les basketteurs y étaient les héros des cours de récré, et on retrouvait leur nom partout, des paquets de céréales aux jeux video en passant par le cinéma.
Terrible.
Electronic Arts ayant mis des billes dans des licences avec la NBA et ses stars, a donc eu l'idée de rentabiliser en mettant Michael Jordan dans un jeu de plate-formes et Shaquille O'Neal dans un jeu de Versus Fighting.
Ouais, c'est un métier.

Un truc de malade mental...

Et, histoire de faire en sorte que le super-combo de l'improbabilité soit complet, de mettre sur cette dernière affaire ce studio français qui cartonne, là, Delphine Software.
Delphine Software, les gens de mon âge l'ont vu grandir et couler, cette boîte. C'était l'une des incarnations de ce qu'on appelait la French Touch, à l'époque - et qui renvoyait effectivement à quelque chose, esthétiquement parlant. Les Voyageurs du Temps, Operation Stealth, Croisière pour un Cadavre, jusqu'aux titres qui les amèneront au grand public et au triomphe critique mondial: Another World et Flashback. Leur truc, à eux, ça a toujours été l'animation - et très vite, l'utilisation de la technique de la rotoscopie (qu'on anglicise souvent en "rotoscoping", pour faire plus smart).
Le procédé vient du film d'animation et il est tout sauf hi-tech. Ca consiste à dessiner par dessus une image filmée; comme si vous faisiez un calque de chaque image, et que vous la recoloriez. Non seulement ça permet au besoin d'avoir un trait précis, réaliste, et aussi détaillé que souhaité ou possible, mais surtout, en traitant une séquence filmée, on capture par la même occasion les mouvements de sujets réels, dont on fait un dessin-animé. Un truc super, que faisait déjà Jordan Mechner 10 ans auparavant avec Karateka sur Apple II.

Shaq contre le fakir des ténèbres.
Sur des supports 16bit qui affichent un nombre restreint de couleurs simultanément, la technique est tout à fait à sa place - plus que les procédés de digitalisation des jeux précités. Elle permet de ne garder que le réalisme des mouvements du sujet filmé, mais de gérer librement les dégradés et les aplats, et donc de ne pas verser dans l'abomination pixellisante du tout digitalisé.
Le résultat sur Shaq Fu, mobilisant beaucoup d'étapes d'animation, est très réussi. Les sprites sont petits, mais effectivement très joliment animés, et les graphismes sont vivement colorés et agréables à l'oeil. Il y aurait beaucoup à dire sur les designs de personnages (à commencer par Shaq lui-même), mais la stricte réussite technique mérite au moins d'être saluée.
Par contre, le jeu en lui-même n'est pas bien bon, et il est très possible que ce soit en bonne partie le revers de la médaille susmentionnée. Les animations si détaillées ne s'interrompent en effet pas avec la vivacité qui convient au genre; les contrôles manquent du coup de réactivité et de précision. Cette inertie ajoutée à quelques originalités dont on se serait bien passé au niveau des commandes (deux boutons sont consacrés respectivement à provoquer et à se déplacer rapidement/se téléporter) donne un jeu de baston qu'on n'a juste pas envie d'apprendre à maîtriser.

Notez que les décors sont jolis aussi, l'air de rien. L'atmosphère bédé est bien réussie.

D'autant, que même avec une approche "second degré", Shaq Fu n'arrive pas vraiment à régaler. Le casting de personnages, mélange pourtant assez rigolo et prometteur sur le papier (il y a une momie, un cyborg, un démon, un sale gniard, un vieux kung fu,master, un pseudo Jack Burton...), est nase sans être comiquement grotesque comme ça peut être le cas dans d'autres semi-navets du genre. Ce doit être ce qui arrive lorsqu'un concept débile est bien exécuté.
Au final, Shaq Fu ne brille ni en tant que bon jeu, ni en tant nanar, ce qui est quand même assez terrible.



Bon, l'un dans l'autre, il faut bien dire que cette deuxième fournée de gros laids a un arrière goût de Gibolin assez déplaisant. Jouer à ces trois jeux n'a pas franchement été rigolo, et même torcher cet article je l'ai fait à reculons. Ces nanars-là ne sont pas de ceux qui font rire, et il n'y a pas vraiment d'amusement, même fugace, à en tirer, ce qui rappelons-le est l'objet de cette série de billets.
Maintenant, le vice étant une affaire très personnelle, je veux bien croire qu'il puisse se trouver des pervers coprophages qui trouvent amusant de jouer à Rise of the Robots, mais je n'imagine pas que ce soit la norme, ni qu'il se trouve ce genre de psychopathes parmi mon aimable lectorat.

Laids, pas drôles, fastidieux à prendre en main - mauvaise pioche!

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